L'adolescence : « Un moment très particulier où tout bascule »
ÉDUCATION

L'adolescence : « Un moment très particulier où tout bascule »

J.-M. A.
Patricia Ventadour (à gauche), ludologue, et Nassera Debbah (à droite), psychiatre, ont animé la conférence de l'Afac. (Wilfrid Téreau/France-Antilles)
Patricia Ventadour (à gauche), ludologue, et Nassera Debbah (à droite), psychiatre, ont animé la conférence de l'Afac. (Wilfrid Téreau/France-Antilles)

Nassera Debbah, psychiatre, et Patricia Ventadour, ludologue, ont abordé le thème de l'adolescence à l'hôtel Batelière, lors d'une conférence organisée par l'Association des familles adoptives de la Caraïbe (Afac).

L'inquiétude gagne certains parents, lorsque leur enfant grandit, devient ado. La crise de l'adolescence bouleverse le jeune qui, à son tour, ébranle l'équilibre familial. À la recherche de nouveaux repères, il interpelle ses parents : Qui sont-ils ? Que veulent-ils pour lui et pour eux-mêmes ?
Le 5 décembre dernier, à l'hôtel Batelière, à Schoelcher, l'Association des familles adoptives de la Caraïbe (Afac) a organisé sa conférence annuelle sur l'adolescence en présence du docteur Nassera Debbah, psychiatre, et de Patricia Ventadour, ludologue, et de nombreux parents. « C'est une étape assez délicate tant pour les adolescents que pour les familles » , a d'entrée de jeu expliqué la psychiatre. « C'est aussi un moment très particulier où tout bascule : le corps change, la pensée évolue » . L'adolescent sait ce qu'il quitte avec l'enfance et ne sait pas encore ce qu'il va trouver avec l'âge adulte. Il est en manque de repères mais il rejette a priori le mode d'emploi que lui proposent ses parents. Pour le Docteur Debbah, il est donc normal que ce soit un moment de crise ; il est normal que l'adolescent le vive dans la souffrance et la difficulté ; et il est normal pour les parents d'avoir du mal à trouver la bonne réponse à apporter à leur enfant.
Cependant, au cours de cette conférence, la psychiatre a souhaité insister sur la fatigue qui s'empare des ados. « Plus de 50% d'entre eux sont fatigués » , a révélé Nassera Debbah. Et d'ajouter : « La fatigue de l'adolescent, c'est un appel à plus d'écoute de la part des parents car il existe deux types de fatigue, la fatigue naturelle et la fatigue pathologique. L'ado est en plein chamboulement hormonal et la tendance à la somnolence s'accroît avec la croissance pubertaire. Il faut donc écouter et observer tous ces changements, parce qu'ils peuvent parfois conduire à des situations difficiles. Votre ado peut être irritable, d'humeur changeante, un peu exalté, et s'adonner à des produits toxiques » .
« L'ADOLESCENT PARLERA PLUS FACILEMENT À D'AUTRES PERSONNES QU'À SES PARENTS »
Pour le docteur Debbah, il n'y a pas de quoi s'affoler. « Toutefois, au bout de quinze jours d'observation, si vous constatez un changement dans sa façon d'être, s'il s'agace très vite, s'il est violent vis-à-vis de ses frères et soeurs, alors qu'il ne l'était pas auparavant, s'il s'absente, s'il n'est plus le même à l'école, il faut vous dire qu'il se passe quelque chose et ne pas hésiter à consulter le médecin traitant ou des structures spécialisées. L'adolescent parlera plus facilement à d'autres personnes qu'à ses parents, même s'il dit qu'il n'est pas malade. »
À la fin de son intervention, Nassera Debbah a appelé de ses voeux la création d'une maison des adolescents en Martinique. Et pour cause : elle est le lieu d'expression des maux de l'adolescence, elle fournit des réponses rapides et adaptées à l'intention des ados, de leur entourage familial, et des partenaires locaux des secteurs de la santé, de l'action sociale, de l'éducation et de la justice, concernés par l'adolescence. Elle ne se substitue pas aux prises en charge existantes, mais permet de mieux les utiliser. Elle se présente comme un lieu spécifique dans lequel toutes les entrées sont possibles, et où les intervenants travaillent et réfléchissent ensemble. Elle assure une fonction d'accueil, d'écoute, de soutien, et si nécessaire d'orientation des adolescents. À la suite du plan santé des jeunes de 2008, l'objectif d'une maison des adolescents par département avait été fixé par le ministère de la Santé. On attend donc avec impatience la création de la maison des adolescents de la Martinique!
De nombreux parents ont assisté à la conférence de vendredi, à l'hôtel Batelière. (Wilfrid Téreau/France-Antilles)
De nombreux parents ont assisté à la conférence de vendredi, à l'hôtel Batelière. (Wilfrid Téreau/France-Antilles)
En France, 1 ado sur 3 a déjà pensé au suicide
11 232 enfants, dont 62% âgés de 12 à 18 ans, répartis sur toute la France, ont participé à la consultation menée à l'échelle nationale par l'Unicef France de mars à mai 2014. L'étude fait ressortir que la question du suicide est fortement présente : elle concerne 28% des participants, en particulier les filles, tandis que la tentative de suicide aurait été vécue par près de 11% d'entre eux.
Parmi les facteurs de risques explorés dans le rapport, le harcèlement sur les réseaux sociaux apparaît comme jouant un rôle crucial dans le passage à l'acte en multipliant les risques par plus de 3. Quant à la consommation de drogue et d'alcool, elle augmente drastiquement avec l'âge : plus de 41% des plus de 15 ans disent consommer de l'alcool et avoir déjà été en état d'ivresse et près de 32% disent consommer de la drogue ou fumer du cannabis.
« On est dans une identité d'adulte »
« Le jeu fait partie de la vie, c'est le premier moyen de communication entre les parents et leur enfant » , explique Patricia Ventadour, ludologue. « Les parents peuvent instaurer un lien d'attachement en utilisant cette interaction, qui se fait de manière très fluide.
Un humain qui ne joue pas, c'est un humain qui meurt » . Quand l'enfant grandit, le jeu doit-il continuer ? « Le jeu se poursuit tout au long de la vie » , répond la ludologue. « On a des enjeux sociétaux qui font croire qu'à un moment donné il faut arrêter de jouer. Lorsque l'enfant entre au CP, j'entends beaucoup de parents dire : « Il ou elle joue trop » .
Les parents pensent qu'il n'y a que la partie pédagogique qui a du sens, or, ils ne se rendent pas compte à quel point il y a un déséquilibre, non seulement dans la vie de leur enfant mais aussi dans la relation qu'ils vont avoir avec lui » .
Et que se passe-t-il à l'adolescence ? « Souvent les parents ont du mal à appréhender cette phase-là, parce qu'on a toujours ce cliché de l'adolescent difficile, alors qu'il n'est pas forcément difficile. Il a juste besoin que l'on puisse l'accompagner dans la traversée de cette période, il a juste besoin que l'on puisse l'aider à conserver ce lien ludique » . Mais comment joue-t-on avec un ado de 15, 16, 17 ans ? « Les jeux vont être dans la joute verbale » , fait observer Patricia Ventadour. « Il faut avoir suffisamment d'humour en tant qu'adulte pour entrer dans ce jeu-là. Lorsque l'ado dit à son père ou à sa mère : « Oh, tu n'y arrives même pas, tu es trop nul » , au lieu de se vexer, on doit lui répondre : « Eh bien justement, c'est parce que je suis nul que je te le demande » . Or, on n'arrive pas à le faire parce qu'on est dans une identité d'adulte. Ce dernier doit se comporter de telle manière et finalement, on ne se rend pas compte que la société nous fait rompre les liens avec notre propre enfant » .
ELLE A DIT Muriel, trésorière de l'Afac, et maman d'un ado
« J'ai mon enfant qui dort tout le temps, qui ne veut rien faire. Ça m'horripile de le voir inactif. Mais avec ce qu'a dit le docteur Debbah, j'ai aujourd'hui une voie à explorer. Il faudra essayer de savoir s'il s'agit d'une fatigue naturelle ou d'une fatigue pathologique. A-t-il un problème autre que celui lié à l'adolescence ? La réponse à cette question va me permettre d'avancer. »
(Shutterstock)
(Shutterstock)

Suivez l'info en temps réel
sur l'appli France-Antilles !

Télécharger