« C'est la première fois que les huissiers descendent dans la rue »

« C'est la première fois que les huissiers descendent dans la rue »

Propos recueillis par Rodolphe Lamy
« Nous sommes en contact directement avec les débiteurs, on voit ce qu'on peut faire, on essaie de trouver des solutions, propose des échéanciers. Il n'est pas certain qu'une société de recouvrement ou un groupe immobilier ait les mêmes préoccupations » .
« Nous sommes en contact directement avec les débiteurs, on voit ce qu'on peut faire, on essaie de trouver des solutions, propose des échéanciers. Il n'est pas certain qu'une société de recouvrement ou un groupe immobilier ait les mêmes préoccupations » .

En écho au mouvement national de protestation contre le projet de loi sur les professions réglementées, les douze études de l'île ferment leurs portes ce lundi. Pendant au moins une semaine, la vingtaine d'huissiers annonce une grève des significations des actes pénaux et de tenue des audiences pénales. Explications de Jean-François Cirba, huissier de Justice.

Il n'est pas habituel de voir les huissiers descendre dans la rue, pourquoi êtes-vous vent debout contre le projet du ministère de l'Économie sur les professions réglementées ?
Aujourd'hui, nous avons vraiment peur pour notre avenir si ce projet reste en l'état. C'est pourquoi, dès aujourd'hui, jusqu'au 22 septembre, nous avons décidé une semaine de grève de signification des actes pénaux et de tenues des audiences pénales. Ce lundi, nos études devraient être fermées et, à 9 heures, nous manifesterons devant le palais de justice de Fort-de-France. Au niveau national et à la Martinique, c'est la première fois depuis que les huissiers existent que nous faisons grève et descendons dans la rue.
Vos craintes pour l'avenir de votre profession sont donc bien réelles ?
Oui et c'est d'autant plus surprenant que Christiane Taubira, dans le cadre de la réforme de la Justice, avait entrepris des négociations avec la profession et les acteurs de terrain. Le projet venu de Bercy tient moins compte des considérations des hommes de terrain et s'est fait sans aucune concertation. L'un des points qui nous préoccupe particulièrement est le fait que de grands groupes, comme des sociétés de financement, des sociétés de recouvrement, et même des capitaux étrangers vont pouvoir investir dans nos études et en prendre le contrôle.
Concrètement, quelles en seraient les conséquences ?
En arrivant à la tête des études d'huissiers, ces grands groupes, étrangers au droit commun, feraient main basse sur les exécutions de justice. Le risque c'est de perdre l'indépendance qui nous est propre puisque l'huissier est tenu à un devoir de neutralité, d'impartialité, à un code de déontologie, etc. Cela pourrait aboutir à des abus. Imaginez une société chargée de recouvrir sa propre créance et, en exagérant un peu, une autre, débitrice, qui devrait aussi faire exécuter une décision à son encontre. Il y a un risque de conflit d'intérêt évident.
Vous évoquez même la disparition des petites études telles qu'on les connaît actuellement ?
Aujourd'hui, il existe un maillage du terrain pour les études d'huissiers. Nous étions auparavant compétents sur la juridiction du tribunal d'instance, puis désormais pour le tribunal de grande instance. Christiane Taubira prévoyait, dans sa réforme, pour éviter une question de monopole, d'étendre la compétence au niveau régional. Le projet de Bercy parle de l'étendre au niveau national. C'est-à-dire qu'une grosse étude à Paris, dirigée par des financiers ou autres, pourrait faire exécuter une décision de justice à la Martinique. Et, à terme, de petites études à Fort-de-France et au Lamentin seraient contraintes à fermer, avec les licenciements qui vont avec. C'est le modèle anglo-saxon, avec un système ultralibéral poussé à l'extrême.
Pour le citoyen lambda aussi, les répercussions ne seraient pas neutres ?
L'huissier sert de tampon sur le terrain. Nous sommes en contact directement avec les débiteurs, on voit ce qu'on peut faire, on essaie de trouver des solutions, propose des échéanciers. Il n'est pas certain qu'une société de recouvrement ou un groupe immobilier ait les mêmes préoccupations. Ce n'est pas le même métier. Même dans le cadre d'expulsions, on tient compte du paramètre humain, on propose un délai pour que les personnes préparent leur départ par exemple. Si ce projet passe, le risque est de perdre cette humanité. Les exécutions de justice risquent de se durcir fortement.

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