« À travers cette découverte, tout le CHUM ressort grandi »

« À travers cette découverte, tout le CHUM ressort grandi »

Cynthia Roussi
Le Dr Albert Jean-Charles commente le poster présenté en 2013 en Louisiane sur les différentes phases de la maladie. (C. Ro./France-Antilles)
Le Dr Albert Jean-Charles commente le poster présenté en 2013 en Louisiane sur les différentes phases de la maladie. (C. Ro./France-Antilles)

Une dégénérescence rare et surtout unique de la rétine a été retrouvée sur six générations d'une même famille martiniquaise. Bien qu'aucun traitement curatif n'ait été trouvé, le gène de la maladie a pu être isolé. Les ophtalmologues à l'origine de la découverte présentent, aujourd'hui au congrès international de l'académie américaine d'ophtalmologie qui se tient à Chicago, les conclusions du cycle de recherches.

1 Le contexte
EPITHELIOPATHIE RETINIENNE FROISSEE DE LA MARTINIQUE. C'était en 2010. « S » a consulté le Dr Albert Jean-Charles, ophtalmologue au CHUM - Centre hospitalier universitaire de Martinique - car elle avait une baisse de la vision dans un oeil. « Il fallait gérer l'urgence, mais, à côté, j'ai aussi constaté qu'il y avait dans l'autre oeil, quelque chose que je ne reconnaissais pas, malgré la documentation spécialisée. Je lui ai alors posé des questions sur sa famille. C'est ainsi qu'elle m'a annoncé que sa soeur, « J » , son frère et sa mère ne voyaient pas bien. Fort heureusement, le courant est passé entre nous. C'est cette relation qui m'a permis de déceler l'existence d'un problème sérieux dans sa famille » , explique-t-il.
La vérification des dossiers médicaux a souligné que la mère et la soeur de « S » étaient déjà suivies par les services des Drs Jean-Charles et Harold Merle. En poussant les recherches, les spécialistes ont constaté que la particularité était présente dans la famille, après avoir examiné d'autres membres ne présentant pas de complications.
2 Les recherches
La particularité se présente par un aspect craquelé de la rétine d'où le nom « Epithéliopathie rétinienne froissée de la Martinique » , que l'on peut observer grâce à un fond d'oeil - examen de la rétine, des vaisseaux de l'oeil, du nerf optique et de la macula par projection d'une lumière, ndlr -. Une cartographie de la maladie a ainsi pu être dressée : de la forme qui commence à la plus évoluée, en passant par les phases avec complications hémorragiques et sans complications. « Vu que nous avions découvert une maladie que l'on avait cernée et authentifiée, nous avons rédigé une publication internationale, l'équivalent d'un brevet, dans la revue internationale la plus côtée dans le domaine, RETINA, » . La découverte a ensuite été publiée par le GASS - dictionnaire médical américain de la rétine - en 2012. L'an dernier, les images des fonds d'oeils sur les six générations et présentant les différentes évolutions de la maladie ont été présentées en novembre, au congrès de l'académie américaine d'ophtalmologie, en Louisiane (Nouvelle Orléans). Cette année, l'enquête génétique a pu être finalisée grâce au concours de l'Inserm de Montpellliers qui a pu isoler le gène responsable de la maladie. Et, c'est la conclusion de cette ultime étape qui sera présentée à compter d'aujourd'hui par les Drs Jean-Charles et Merle, ce jusqu'au 21 octobre, à Chicago, au congrès de l'académie américaine d'ophtalmologie.
3 La « toile » familiale
La grand-mère de « S » avait deux soeurs et c'est à leur niveau à toutes les trois que la maladie s'est transmise. Les médecins ont dû faire face à plusieurs « réalités familiales » devant lesquelles la discrétion a été préservée au maximum. Les clichés ayant circulé chez tous les spécialistes de l'Hexagone et notamment à l'hôpital de Lariboisière qui abrite le plus grand centre rétinien de France, le Dr Jean-Charles a pu compléter la deuxième branche de cousins. La troisième l'a été grâce au retour d'un médecin de la région de Tours, qui avait signalé un patient présentant les mêmes caractéristiques mais dont le nom et l'origine indienne de la mère ne coïncidaient pas. Interrogée, elle a précisé que le père est Martiniquais et le renseignement du nom a fait le reste. Dans cette « histoire » , les médecins insistent sur la relation de confiance qui a pu être établie entre eux et les patients. L'objectif est de distinguer et d'informer tous ceux qui ont l'affection, que l'absence de complications ne dispense pas d'en développer plus tard, que ce soit à leur niveau ou à celui de leur descendance.
« Faire ce qu'il y a, à faire pendant qu'on voit »
En attendant une découverte significative, tous s'adaptent par des astuces au quotidien pour maintenir un certain confort de vision. Les deux soeurs, « S » et « J » nous racontent.

« On souhaite savoir ce qui peut être découvert pour arrêter ça. On a décelé la maladie avec moi, même si elle existait chez ma mère et ma soeur. Je me suis retrouvée sans voir de l'oeil gauche, un jour » , déclare « S » . Son frère résidant en Guadeloupe avait eu les mêmes complications mais l'issue a été moins heureuse, il a perdu l'usage de cet oeil. Sa mère de 89 ans est aveugle. Sa soeur, « J » a 62 ans. Elle se souvient qu'elle voyait au début, un petit hérisson qui faisait le va-et-vient dans son oeil et qui grossissait. « Parfois, ce petit hérisson éclate et j'ai du sang dans l'oeil et je ne vois plus. Ça me rend dépressive par moments » .
« LES YEUX C'EST TOUT! »
Elle poursuit. « Je suis obligée pour le téléphone par exemple, de prendre des appareils avec de grosses touches noires. Au réveil, j'ai l'impression d'avoir du sable dans les yeux et je suis obligée d'attendre un moment avant d'avoir une vue presque correcte. Quand il y a du soleil, c'est beaucoup mieux pour moi » . Le Dr Harold Merle explique néanmoins qu'il n'y a pas de restrictions particulières dans la vie de tous les jours. « Ce n'est pas une maladie pour laquelle on vous demande d'adopter un comportement particulier. C'est une maladie dont on ne connaît ni les facteurs déclenchants, ni les facultés évolutives. Elle reproduit certaines formes de dégénérescence maculaire qui peuvent être traitées par laser ou par injections. Donc quelqu'un qui peut être affecté peut rester parfaitement autonome comme l'est « S » . Par contre, il y a d'autres formes qui sont d'emblée plus sévères comme pour sa soeur » .
« S » a appris avec le temps à relativiser. « Je suis moins atteinte que ma soeur, et maintenant c'est moi qui m'occupe de ses papiers. Ça va un peu mieux maintenant parce qu'elle a accepté la maladie... Les yeux c'est tout! Avant elle pleurait... On sait qu'il n'existe pas de médicament, alors on se dit qu'il faut faire ce qu'il y a à faire pendant qu'on voit » .
Les deux soeurs, « S » et « J » ont avec le temps et les conseils des médecins appris à vivre avec cette maladie handicapante. (W. T/France-Antilles)
Les deux soeurs, « S » et « J » ont avec le temps et les conseils des médecins appris à vivre avec cette maladie handicapante. (W. T/France-Antilles)
Un tremplin pour investir
Pour les Drs Jean-Charles et Merle, cette découverte a un double objectif : salutaire pour la famille et propulseur pour leur domaine de prédilection et l'établissement dans lequel ils exercent, à savoir, le CHUM.
« Le principe est de dire qu'au niveau du CHUM on peut faire des choses bien. Le CHUM a un fort potentiel. Quand on présente aux Etats-Unis, on écrit CHU de la Martinique, on présente sur une carte, le petit point où la découverte a été faite... D'où le nom Martinique dans l'intitulé de la maladie » , souligne le Dr Jean-Charles. À coup sûr que cette découverte servira à appuyer les demandes de fonds pour obtenir du matériel neuf.
Six générations
Pour l'étude de ce cas, la généalogie de la famille a été faite sur six générations. Trois soeurs ont transmis le gène à leur descendance. Et c'est par la petite-fille de l'une d'entre elles, « S » , que le lien a pu être établi avec le reste de la famille. Ici, un tableau intermédiaire qui indique que sur les huit enfants de la mère de « S » , six sont malades, de même que trois de ses petits-enfants.
(C.Ro./France-Antilles)
(C.Ro./France-Antilles)

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