« Le gang des Antillais » s'invite dans nos salles obscures

« Le gang des Antillais » s'invite dans nos salles obscures

Entretien Ro.L

Le film de Jean-Claude Barny sort ce samedi aux Antilles. Retrouvez-ici quelques images du film et notre entretien avec celui dont la vie et le roman ont inspiré le réalisateur : Loïc Léry, qui revient sur l'histoire du fameux gang dont il était membre et sa vie à Paris. 

Loïc Léry, auteur du livre «Le gang des Antillais » qui a inspiré le film de Jean-Claude Barny.

Le réalisateur Jean-Claude Barny.

Loïc Léry : du roman au film...
Lamentinois, aide-soignant à l'hôpital de Trinité, syndicaliste à l'UGTM, auteur du roman Le gang des Antillais, Loïc Léry revient sur son parcours qui l'a conduit à intégrer ce gang.

Pourquoi avez vous quitté la Martinique en 1973, âgé à l'époque de 13 ans ?
Loïc Léry : Ce départ est à resituer dans le contexte de toute la publicité qui était faite autour du BUMIDOM, présentant la France comme un pays grandiose. Ma mère, à l'époque agent hospitalier, a été également subjuguée par cette publicité, et m'a donc payé mon voyage, alors que mon père, avec lequel je ne m'entendais pas trop, s'yopposait. Il est d'ailleurs mort trois jours avant mon départ. À Paris, je vivais chez ma marraine qui logeait dans une chambre de bonne. Une fois inscrit à l'école, j'ai rapidement découvert ma réalité : mon accent, ma couleur de peau, etc, qui faisaient l'objet de moqueries de la part de mes camarades d'école. Ce que je n'acceptais pas, d'autant que j'étais de nature turbulent. D'ailleurs, vers 16/17 ans, je me suis mis en quête d'un boulot. Je suis devenu coursier à Paris, puis j'ai connu une Métropolitaine avec laquelle j'ai eu deux enfants. C'est à ce moment là que les galères commencent.

Des galères de quelle nature ?
Ma compagne, étant plus marginale que moi, ne parvenait pas à garder un boulot. Qui plus est, elle n'était pas aidée par ses parents, parce que racistes. Ce qui me renvoyait aux difficultés d'un couple domino. Outre le fait d'être le seul à travailler dans le couple, j'étais confronté à mon problème identitaire, car je découvrais que cette France tant vantée n'était pas celle que je croyais. En tant qu'Antillais, je me retrouvais dans la même situation que les immigrés.

Votre mère est-elle au courant de vos difficultés ?
Ma mère le sait, tout le monde est au courant. Mais vous vous accrochez à cette France, votre mère-patrie.Tout cela conduit à un glissement progressif.

À quel moment s'est produit le basculement ?
Ce basculement se fait à la suite d'une rencontre avec des copains, d'autres Antillais, qui sont également dans la même galère que moi. En particulier, il y a un, surnommé Politik, qui a déjà a une conscience politique. Avec d'autres, il a formé une bande, un gang que je rejoins. Par ailleurs, c'est l'époque où on remet en cause pas mal de choses, où on parle beaucoup des Mandela, Marley, Martin Luther King, etc. Ce contexte socio-historique explique pourquoi j'ai intégré la bande, parce que avec mon boulot j'aurais pu m'en tirer, même si c'était dure. Bref, je me radicalise.

Mais comment votre compagne perçoit ce changement ?
En fait, je suis tiraillé. D'un côté, j'ai ma compagne qui m'aime, veut me garder pour elle, mais n'entend pas se rapprocher de mon peuple et de mes frères de misère ; de l'autre, je suis solidaire d'autres Antillais qui sont en difficulté, par exemple Politik que j'avais hébergé à un moment dans mon studio. Finalement, je choisis le gang.

Rejoindre un gang qui se livre à des holp up n'est pas un acte anodin, c'est une décision d'une grande gravité. À aucun moment, vous n'avez pas eu un doute, une hésitation ?
Je ne veux pas faire l'apologie du gang, mais il faut se remettre dans le contexte. Vous avez un jeune qui constate que l'image idyllique qu'il avait de la France ne correspond pas à la réalité. Il est mal dans sa peau en découvrant qu'il n'est pas Français, mais un immigré parmi d'autres. Il doit donc totalement changé sa personnalité. Ce jeune n'a pas la réflexion d'un Césaire ou d'un Fanon, elle est celle d'un prolétaire qui a été piégé. Comme il ne veut pas à revenir dans son pays, deux choix s'offrent à lui : soit, il courbe l'échine, et aura peut-être une réussite sociale, tout en étant très mal dans son moi intérieur ; soit il a une réaction, que je dois admettre qu'elle est agressive, qui consiste à s'attaquer à l'Etat français en devenant un gangster.

Qui composait le gang et qui était son leader ?
Nous étions quatre. Je refuse de dire leurs noms. Celui qui jouait le rôle de leader était Politik, il est le plus âgé, il a 30 ans, alors que moi avec mes 19 ans, je suis le plus jeune de la bande. Politik, comme je l'ai déjà dit, a déjà une réflexion sur la société française, sur le monde. Il lit Césaire, Fanon. Politique est déjà condamné dans sa tête. C'est un homme qui a été beaucoup marqué et affecté par le fait que, faute d'argent, il n'a pu se rendre à l'enterrement de sa mère. Du coup, il est devenu un révolutionnaire.

Quand vous avez braqué banques et bureaux de poste, y a-t-il eu des blessés ?
Aucun blessé, aucun mort. Même si on se livrait à un acte que je considère comme grave, il y a toujours eu une humanité au sein du gang. Ainsi, Politik avait des principes : il refusait d'attaquer des lieux où il y avait des enfants car il ne voulait pas les traumatiser. Néanmoins, une agression reste une agression. Dans ce qui pourrait être perçu comme une malhonnêteté, une petitesse, il y a une sorte de grandeur car on prenait de l'argent à l'Etat.

La presse parisienne parlait-elle de vos braquages ?
Absolument ! Il était question d'un gang composé de noirs, mais on ne savait pas encore que c'étaient des Antillais.

Vos braquages ont duré combien de temps et qu'est-ce qui a provoqué votre perte ?
Cela a quasiment duré une année. Notre arrestation a eu lieu, en octobre 1979, après un braquage de banque, qui, paradoxalement, avait été très bien réussi. Mais un des membres du groupe, Molokoy, se fait prendre parce qu'il s'est affolé. À partir de là, la police nous a tous arrêtés : Jimmy, Jackson, etc.

Ensuite arrive le procès ?
Avant le procès, je suis resté en détention préventive, tenez vous bien, durant quatre ans et demi. Ensuite, nous avons été jugés en 1983 : Politik est condamné à onze ans de prison, Jimmy, c'est-à-dire moi, à dix ans, etc. J'ai d'abord été incarcéré à Fleury-Mérogis puis à Poissy, et, enfin, à Fort-de-France. En prison, qui est une jungle, j'ai commencé une autre vie, à devenir un autre homme, par l'étude en arrivant jusqu'au niveau du bac, et la découverte de mon moi Antillais avec la lecture et la rédaction de mon roman.

Loïc Léry, auteur du livre «Le gang des Antillais » qui a inspiré le film de Jean-Claude Barny.
Le réalisateur Jean-Claude Barny.

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